Veille stratégique et intelligence économique : rétrospective 2024 et perspectives
En ce mois de janvier, à l’image du dieu Janus aux deux visages, gardien des transitions et des passages, il est de tradition de jeter un regard rétrospectif sur l’année écoulée tout en se tournant vers l’avenir des activités de veille et d’intelligence économique.
Le TGV de l’IA générative : Un cycle du hype en mode accéléré autour de l’apport des LLMs dans les activités de veille
il ne se sera écoulé que 12 petits mois entre la peur de l’IA qui supprime les emplois suite à l’annonce d’Onclusive et les retours d’expérience convergents et raisonnés des équipes de veille et d’analyse quant à l’exploitation, les possibilités et limites des IAs génératives dans le cycle de l’information.
12 mois d’une course effrénée qui se poursuivra sans aucun doute dans les prochaines années avec l’arrivée de nouveaux modèles et services, la combinaison de différentes approches de traitement des données ouvrant de nouveaux champs d’innovation et de soutien possible dans les différentes phases de traitement de l’information.
Reste à voir quelles réponses industrielles pourront être apportées, d’une part quant aux enjeux de sécurité de l’information interne, sensible ou secrète, et d’autre part face aux enjeux de confiance et répétabilité des résultats obtenus.
2024 : Trois décennies d’intelligence économique depuis le rapport Martre
Le 8 avril 2024 se tenait le colloque de l’IE, 30 ans après la publication du rapport Martre et 20 ans après la publication du rapport Carayon : l’occasion pour les pionniers de l’IE de revenir sur le développement de l’intelligence économique, de ses pratiques, des difficultés rencontrées et des défis à venir.
L’année 2024 est également marquée par une forte évolution du contexte législatif, avec l’inscription du concept d’intelligence économique au cœur de la loi française, incluant notamment un renforcement des investissements étrangers face aux actes de prédations des entreprises françaises.
Par ailleurs, la DGA investit fortement les champs de l’OSINT et de l’intelligence économique avec l’inauguration du Campus OSINT, deux lieux dédiés à la rencontre des acteurs de l’OSINT et au développement d’une expertise des outils et méthodes OSINT.
Espérons que les prochaines années permettront l’émergence d’une stratégie et d’un dispositif national d’intelligence économique à la hauteur des enjeux que nous connaissons.
Changement de braquet : en route vers la décentralisation des pratiques de veille
Côté EspritsCollaboratifs, nous avons constaté une accélération dans la remise en question des modes de traitement de l’information au sein des organisations.
Ce constat, forcément biaisé puisque Curebot est notamment reconnu pour les démarches de veille décentralisées que nous accompagnons chez nos clients grands comptes tels qu’Orange, RTE ou encore VYV, montre une forte augmentation des projets de veille ouvert à un plus grand nombre de contributeurs, bien au-delà des veilleurs historiques de l’équipe ou de la cellule cœur.
; plusieurs raisons expliquent cet engouement pour une décentralisation des pratiques :
- Des périmètres de veille trop importants pour que la surveillance, bien qu’automatisée, puisse se faire sans être répartie sur un nombre plus important de membres de l’organisation.
- Des sujets de veille nécessitant une expertise pointue qui ne peuvent être traités sans le regarde des experts interne de l’entreprise.
- Des attentes accrues en matière de traitement et d’analyse de l’information qui ne peuvent se faire sans que le travail de veille soit mieux réparti afin de redonner du temps aux activités d’analyse et/ou que des membres de l’organisation de l’entreprise mettent leurs connaissances, compétentes et expertises au service des travaux d’analyse.
- Des besoins de connaissance et de développement des compétences métiers qui ne peuvent être comblés que par l’implication directe des salariés de ces branches métiers.
- Une reconnaissance des besoins de veille au sein d’un nombre grandissant de métiers : développement commercial, sécurité, RH, communication… au-delà des métiers traditionnellement porteurs de démarches tels que le marketing, la stratégie, l’innovation et R&D…
Au croisement de l’information et de la documentation : Une convergence stratégique
En 2024, un mouvement notable s’amorce au sein des équipes de documentation historiquement focalisées sur la gestion et l’accès à des corpus documentaires structurés (revues, abonnements, archives physiques ou numériques). Face à l'essor des besoins en informations dynamiques et actualisées issues du web, ces équipes renforcent leurs compétences en veille stratégique.
L’accélération des besoins en informations vives – notamment sur des sources web variées et parfois éphémères – pousse ces services à intégrer des plateformes professionnelles de veille, bien au-delà des outils généralistes utilisés jusque-là. Parallèlement, le cercle des contributeurs s’élargit : ce ne sont plus uniquement les documentalistes qui alimentent ces dispositifs, mais également des experts internes issus de différents métiers de l’organisation, renforçant ainsi la pertinence des analyses produites.
Ce changement marque une évolution majeure : les équipes de documentation deviennent des acteurs stratégiques, diffusant leurs savoir-faire en gestion et exploitation de l’information à l’échelle de toute l’entreprise. Un levier précieux dans un contexte où la maîtrise des flux informationnels est un enjeu clé pour anticiper et s’adapter aux mutations rapides des environnements économiques et concurrentiels.
De la veille à la vision : le grand retour de la prospective
Dans un contexte marqué par des crises successives et une instabilité croissante, la prospective revient sur le devant de la scène comme une nécessité stratégique.
Les bouleversements sociétaux – qu’il s’agisse de l’équilibre entre vie professionnelle et personnelle, de responsabilité sociétale, de la réduction de l’impact carbone ou de la redéfinition du sens du travail – imposent une réflexion renouvelée sur l’avenir. Ces "mouvements tectoniques" des valeurs et modes de vie appellent les organisations à anticiper et s’adapter de manière proactive.
Face à ces défis, les entreprises doivent élaborer des visions prospectives engageantes, capables de fédérer leurs parties prenantes autour d’un futur souhaitable. Ce futur doit non seulement répondre aux aspirations des collaborateurs – en termes de sens, d’éthique et d’impact – mais également offrir une direction claire et inspirante pour naviguer dans des environnements complexes et incertains.
Cette démarche implique de dépasser les modèles classiques pour co-construire, avec les forces vives de l’organisation, des scénarios qui soient porteurs de valeurs et de sens. Une nouvelle approche du "futur souhaitable" émerge, non plus comme une utopie lointaine, mais comme un levier immédiat d’engagement et de transformation collective.
Plateformes de veille : une consolidation du marché qui cache des risques
Le marché des plateformes de veille stratégique a connu une concentration accélérée ces 18 derniers mois, mais cette dynamique n’est pas sans soulever de réelles inquiétudes.
L'acquisition de Digimind par Onclusive, désormais sous pavillon américain, illustre les enjeux de souveraineté numérique. Au-delà de la perte de contrôle national, ce rachat s'accompagne de risques informationnels majeurs, notamment en termes de confidentialité des données sensibles. Les orientations stratégiques suivant l’acquisition et l’arrêt des développements sur une des plateformes historiques met en péril des investissements technologiques et organisationnels préexistants.
En parallèle, l’expansion de Chapsvision sur ce marché renforce la concentration des offres, posant de nouvelles questions sur la dépendance des entreprises. La domination d’un seul acteur expose les organisations à des risques multiples : hausse imprévisible des tarifs, dépendance à une feuille de route technologique qui pourrait ne pas répondre aux besoins stratégiques et l’incertitude liée à un éventuel rachat par un fonds d’investissement. Cette concentration, bien qu’elle puisse théoriquement, à terme, offrir des solutions intégrées, exacerbe les défis pour les entreprises cherchant à maintenir flexibilité, contrôle et diversité dans leurs outils de veille.
Ces évolutions interrogent sur la résilience et la stratégie à long terme des organisations dépendantes de ces acteurs, dans un contexte où l’agilité et la souveraineté numérique deviennent des impératifs.
Complexification croissante de la gestion des droits d’auteur au sein des activités de veille
La gestion des droits d’auteur dans les activités de veille continue de se complexifier en 2024, un tournant dans les tensions juridiques entre éditeurs de presse et acteurs technologiques, illustrée par des amendes record demandées à Digimind par des groupes de presse comme Les Échos, Le Monde ou *Le Figaro ainsi que les actions en justice menées par un ensemble de groupe de presse à travers le monde contre les éditeurs d’IA génératives,* ayant exploité sans autorisation les bases de données des éditeurs ou encore la poursuite en justice du réseau social X par les groupes Le Figaro, Le Monde et Les Échos-Le Parisien.
En France, une nouvelle étape a été franchie avec le retrait de plusieurs grands groupes de presse français de l’accord «veille web » du CFC. Ces groupes ont choisi de commercialiser directement l’accès aux index de leurs contenus auprès des éditeurs de plateformes de veille et des brokers d’information, modifiant profondément les règles du jeu. Si cette approche vise à mieux valoriser les droits d’auteur, elle repose sur des modèles économiques et technologiques souvent dépassés, limitant ainsi l’innovation chez les éditeurs de plateformes et pénalisant les entreprises les plus respectueuses du cadre légal.
À partir du 1ᵉʳ janvier 2025, les règles se durcissent : il sera interdit de crawler, d’afficher des titres, des URLs ou même les premiers mots d’une ressource provenant de ces groupes, sauf si l’éditeur de la plateforme de veille a conclu un contrat spécifique avec eux. Cette évolution impose aux entreprises de redoubler de vigilance juridique, tout en repensant leurs stratégies d’accès à l’information dans un contexte de droits d’auteur toujours plus contraignant.
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